fév 21, 2020 - CNV, parentalité    3 Comments

Et si on se réconciliait avec le cadre?

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Pauvre cadre… dans les débats sur la parentalité, et sur de nombreux groupes Facebook dédiés à l’éducation non violente, je le vois devenir le grand méchant loup qu’il faut à tout prix éradiquer de notre quotidien. A tel point que sa simple évocation provoque des levées de boucliers et des commentaires lapidaires d’une violence aussi aberrante qu’incohérente, dans des groupes qui se réclament de la bienveillance et de l’amour inconditionnel…

  • Que nous a-t-il fait, ce brave cadre, pour qu’on lui en veuille à ce point? Ci-dessous, un exemple pour  tenter de répondre à cette question…

G. est une maman de trois enfants (aujourd’hui adolescents),  qui a toujours refusé la notion de « cadre » dans sa relation avec ses enfants. Le seul terme d' »éducation » la met dans une colère noire. Quand elle était elle-même enfant, G. a subi une autorité excessive et basée sur un postulat injuste: les parents décident, les enfants obéissent. Si bien qu’enfant, certains de ses besoins n’ont pas été accueillis ni entendus, encore moins satisfaits. G.  ne se sentait pas la légitimité de réclamer quoi que ce soit, elle subissait les décisions et les pétages de plombs parentaux sans broncher. En grandissant, son cheminement l’a amenée à prendre conscience que cela n’était pas juste, qu’elle n’avait pas été respectée, et que cet abus d’autorité parentale lui avait causé de graves préjudices (manque de confiance en elle notamment). Dès lors, tout adulte voulant imposer sa volonté à un enfant s’est rendu coupable d' »adultisme » à ses yeux, et toute notion de « limite » et de « cadre » réactivait les souffrances de son enfant intérieure. Cette enfant intérieure, soulagée d’être enfin prise en compte, prit les commandes de l’éducation de ses propres enfants, et se donna la mission de rétablir l’équilibre, érigeant un nouveau postulat: les besoins des enfants doivent être entendus, reconnus et satisfaits, quoi qu’il en coûte à leurs parents. Aussi, après avoir refoulé ses besoins pendant toute son enfance, G. continua de les refouler en tant que maman, perpétuant une profonde injustice qui nourrissait la rage au fond d’elle-même. Comme cette rage était niée et contenue la plupart du temps, et qu’il fallait bien qu’elle sorte de temps à autre sous peine d’implosion, G. se vit parfois se comporter comme une furie avec ses enfants, chose qu’elle s’était pourtant promis de ne jamais jamais faire, ayant trop souvent tâté de la violence parentale… Elle trouva alors refuge dans un groupe de parents qui comme elle s’insurgeaient contre l' »adultisme », et se trouva soulagée de pouvoir échanger avec des personnes qui avaient les mêmes valeurs qu’elle. Dans ce groupe, elle eut accès à une liste d’actions parentales néfastes aux enfants, liste ô combien salutaire, qui venait jouer le rôle de « limites à ne pas franchir », « cadre à respecter ». Refusant de donner du cadre à ses enfants, elle s’en imposa un. Refusant de demander à ses enfants d’obéir, elle se mit à obéir aux injonctions d’un groupe. S’imposant d’être bienveillante avec ses enfants, elle subissait sa propre exigence. Craignant de ne pas être dans les clous, voyant certains membres du groupe se faire vertement rabrouer, voire virer, elle continua la trajectoire que son éducation avait tracée: taire ses besoins, refouler, obéir, craindre de mal faire… Quant à ses enfants, habitués à ce qu’elle donne la priorité à leurs besoins sur les siens, à ce qu’elle culpabilise dès qu’elle hausse la voix, ils flirtent maintenant avec des limites bien plus vastes que celles qu’elle n’a pas voulu leur donner.

Comme beaucoup d’autres personnes, G. a inconsciemment fait un amalgame entre la notion de cadre et l’injustice qu’elle a vécue. La relecture de son histoire lui  a permis de dissocier ces deux aspects, et d’envisager le cadre comme ce qu’il est: une structure incontournable.

  • Pourquoi le cadre est-il incontournable ?

Qu’il soit exprimé, conscientisé ou au contraire inconscient, le cadre émerge automatiquement de toute relation, comme nous l’avons vu avec l’histoire de G. (sa relation avec ses enfants est régie par le cadre qu’elle s’impose, qui paradoxalement lui intime de ne pas donner de cadre).

Nous sommes nous-mêmes régis par un cadre auquel nous ne pouvons échapper, notre propre corps, qui obéit à ses lois et définit nos contours. C’est justement de contours dont nous avons besoin pour nous sentir en sécurité, comme l’enfant qui s’apaise en étant contenu dans des bras aimants.  Notre environnement possède également ses contours, ses limites, dont pendant des décennies nous n’avons pas tenu compte, et qui se rappellent aujourd’hui à nous de manière tragique.

Lorsque nous essayons d’échapper à un cadre, il nous est difficile de laisser libre cours à notre créativité, et l’inspiration n’est pas au rendez-vous. De même, si vous observez des enfants jouer, vous verrez qu’une grande partie du jeu est consacrée à définir les règles et à poser des repères.

Bref, les exemples sont nombreux qui montrent que le cadre est en fait un appui, une structure intrinsèque à la vie, qui nous permet de nous exprimer, de jouer, d’être créatifs, et de gérer nos relations d’une manière paisible.

  • Comment  poser un cadre qui soit au service de la vie?

A partir du moment où le cadre est perçu comme un appui et non comme une coercition, il devient un outil soutenant dans la relation.

Pour qu’il joue ce rôle, il est nécessaire qu’il soit construit à partir des besoins en présence. Par « besoins en présence », j’entends les besoins des enfants ET ceux des adultes. A titre d’exemple, certains s’insurgent que des parents se ménagent un temps pour eux le soir, à partir d’une certaine heure… présentant comme scandaleux de vouloir poser une règle en fonction de ce qui arrange le parent, et oubliant du même coup qu’une personne qui ne prend pas soin de ses besoins finit  par être nocive pour son entourage. Pour ma part, je pense qu’une dose raisonnable de directivité quotidienne vaut mieux que des pétages de plombs occasionnels; l’idéal étant bien sûr de poser le cadre d’une manière coopérative.

De multiples solutions existent pour cela: réunion de toute la famille, tour de table des besoins, dessiner ses envies, brain storming des solutions possibles, etc… l’essentiel étant que les besoins de chacun puissent être exprimés, reconnus, et pris en compte (avec la conscience des notions de priorités de besoins, certains pouvant être différés)

Pour conclure, pour moi le cadre idéal est une construction collective et évolutive. Cette co-création émerge d’une écoute sensible des besoins de chacun, à commencer par les siens propres.

Si cet article vous a stimulé(e) d’une manière ou d’une autre, ou inspiré, ou encouragé à partager votre expérience, n’hésitez pas à laisser un commentaire.

Bien à vous,

La Fannette

 

 

 

 

 

 

3 Comments

  • MERCI!

  • Quelle réflexion passionnante et inspirante!

    • Merci pour votre retour Laura

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